Pen and inkstand


La plume et l'encrier


In a poet's study, somebody made a remark as he looked at the inkstand that was standing on the table: "It's strange what can come out of that inkstand! I wonder what the next thing will be. Yes, it's strange!"
Que de choses dans un encrier! disait quelqu'un qui se trouvait chez un poète; que de belles choses! Quelle sera la première œuvre qui en sortira? Un admirable ouvrage sans doute.

"That it is!" said the Inkstand. "It's unbelievable, that's what I have always said." The Inkstand was speaking to the Pen and to everything else on the table that could hear it. "It's really amazing what comes out of me! Almost incredible! I actually don't know myself what will come next when that person starts to dip into me. One drop from me is enough for half a piece of paper, and what may not be on it then? I am something quite remarkable. All the works of this poet come from me. These living characters, whom people think they recognize, these deep emotions, that gay humor, the charming descriptions of nature - I don't understand those myself, because I don't know anything about nature - all of that is in me. From me have come out, and still come out, that host of lovely maidens and brave knights on snorting steeds. The fact is, I assure you, I don't know anything about them myself."
- C'est tout simplement admirable, répondit aussitôt la voix de l'encrier; tout ce qu'il y a de plus admirable! répéta-t-il, en prenant à témoin la plume et les autres objets placés sur le bureau. Que de choses en moi ... on a quelque peine à le concevoir ... Il est vrai que je l'ignore moi-même et que je serais fort embarrassé de dire ce qui en sort quand une plume vient de s'y plonger. Une seule de mes gouttes suffit pour une demi-page: que ne contient pas celle-ci! C'est de moi que naissent toutes les œuvres du maître de céans. C'est dans moi qu'il puise ces considérations subtiles, ces héros aimables, ces paysages séduisants qui emplissent tant de livres. Je n'y comprends rien, et la nature me laisse absolument indifférent; mais qu'importe: tout cela n'en a pas moins sa source en moi, et cela me suffit.

"You are right about that," said the Pen. "You have very few ideas, and don't bother about thinking much at all. If you did take the trouble to think, you would understand that nothing comes out of you except a liquid. You just supply me with the means of putting down on paper what I have in me; that's what I write with. It's the pen that does the writing. Nobody doubts that, and most people know as much about poetry as an old inkstand!"
- Vous avez parfaitement raison de vous en contenter, répliqua la plume; cela prouve que vous ne réfléchissez pas, car si vous aviez le don de la réflexion, vous comprendriez que votre rôle est tout différent de ce que vous le croyez. Vous fournissez la matière qui me sert à rendre visible ce qui vit en moi; vous ne contenez que de l'encre, l'ami, pas autre chose. C'est moi, la plume, qui écris; il n'est pas un homme qui le conteste et, cependant, beaucoup parmi les hommes s'entendent à la poésie autant qu'un vieil encrier.

"You haven't had much experience," retorted the Inkstand. "You've hardly been in service a week, and already you're half worn out. Do you imagine you're the poet? Why, you're only a servant; I have had a great many like you before you came, some from the goose family and some of English make. I'm familiar with both quill pens and steel pens. Yes, I've had a great many in my service, and I'll have many more when the man who goes through the motions for me comes to write down what he gets from me. I'd be much interested in knowing what will be the next thing he gets from me."
- Vous avez le verbe bien haut pour une personne d'aussi peu d'expérience; car, vous ne datez guère que d'une semaine, ma mie, et vous voici déjà dans un lamentable état. Vous imagineriez-vous par hasard que mes œuvres sont les vôtres? Oh! la belle histoire! Plumes d'oie ou plumes d'acier, vous êtes toutes les mêmes et ne valez pas mieux les unes que les autres. A vous le soin machinal de reporter sur le papier ce que je renferme quand l'homme vient me consulter. Que m'empruntera-t-il la prochaine fois? Je serais curieux de le savoir.

"Inkpot!" cried the Pen.
- Pataud! conclut la plume.

Late that evening the Poet came home. He had been at a concert, had heard a splendid violinist, and was quite thrilled with his marvelous performance. From his instrument he had drawn a golden river of melody. Sometimes it had sounded like the gentle murmur of rippling water drops, wonderful pearl-like tones, sometimes like a chorus of twittering birds, sometimes like a tempest tearing through mighty forests of pine. The Poet had fancied he heard his own heart weep, but in tones as sweet as the gentle voice of a woman. It seemed as if the music came not only from the strings of the violin, but from its sounding board, its pegs, its very bridge. It was amazing! The selection had been extremely difficult, but it had seemed as if the bow were wandering over the strings merely in play. The performance was so easy that an ignorant listener might have thought he could do it himself. The violin seemed to sound, and the bow to play, of their own accord, and one forgot the master who directed them, giving them life and soul. Yes, the master was forgotten, but the Poet remembered him. He repeated his name and wrote down his thoughts.
Cependant, le poète était dans une vive surexcitation d'esprit lorsqu'il rentra, le soir. Il avait assisté à un concert et subi le charme irrésistible d'un incomparable violoniste. Sous le jeu inspiré de l'artiste, l'instrument s'était animé et avait exhalé son âme en débordantes harmonies.

"How foolish it would be for the violin and bow to boast of their achievements! And yet we human beings often do so. Poets, artists, scientists, generals - we are all proud of ourselves, and yet we're only instruments in the hands of our Lord! To Him alone be the glory! We have nothing to be arrogant about."
Le poète avait cru entendre chanter son propre cœur, chanter avec une voix divine comme en ont parfois des femmes. On eût dit que tout vibrait dans ce violon, les cordes, la chanterelle, la caisse, pour arriver à une plus grande intensité d'expression. Bien que le jeu du virtuose fût d'une science extrême, l'exécution semblait n'être qu'un enfantillage: à peine voyait-on parfois l'archet effleurer les cordes; c'était à donner à chacun l'envie d'en faire autant avec un violon qui paraissait chanter de lui-même, un archet qui semblait aller tout seul. L'artiste était oublié, lui, qui pourtant les faisait ce qu'ils étaient, en faisant passer en eux une parcelle de son génie. Mais le poète se souvenait et s'asseyant à sa table, il prit sa plume pour écrire ce que lui dictaient ses impressions.

Yes, that is what the Poet wrote down, and he titled his essay, "The Master and the Instruments."
« Combien ce serait folie à l'archet et au violon de s'enorgueillir de leurs mérites! Et cependant nous l'avons cette folie, nous autres poètes, artistes, inventeurs ou savants. Nous chantons nos louanges, nous sommes fiers de nos œuvres, et nous oublions que nous sommes des instruments dont joue le Créateur. Honneur à lui seul! Nous n'avons rien dont nous puissions nous enorgueillir.»

"That ought to hold you, madam," said the Pen, when the two were alone again. "Did you hear him read aloud what I had written?"
Sur ce thème, le poète développa une parabole, qu'il intitula l'Ouvrier et les instruments.

"Yes, I heard what I gave you to write," said the Inkstand. "It was meant for you and your conceit. It's strange that you can't tell when anyone is making fun of you. I gave you a pretty sharp cut there; surely I must know my own satire!"
- A bon entendeur, salut! mon cher, dit la plume à l'encrier, après le départ du maître. Vous avez bien compris ce que j'ai écrit et ce qu'il vient de relire tout haut?

"Inkpot!" said the Pen.
- Naturellement, puisque c'est chez moi que vous êtes venue le chercher, la belle. Je vous conseille de faire votre profit de la leçon, car vous ne péchez pas, d'ordinaire, par excès de modestie. Mais vous n'avez pas même senti qu'on s'amusait à vos dépens!

"Scribble-stick!" said the Inkstand.
- Vieille cruche! répliqua la plume.

They were both satisfied with their answers, and it is a great comfort to feel that one has made a witty reply - one sleeps better afterward. So they both went to sleep.
- Vieux balai! riposta l'encrier.

But the Poet didn't sleep. His thoughts rushed forth like the violin's tones, falling like pearls, sweeping on like a storm through the forest. He understood the sentiments of his own heart; he caught a ray of the light from the everlasting Master.
Et chacun d'eux resta convaincu d'avoir réduit son adversaire au silence par des raisons écrasantes. Avec une conviction semblable, on a la conscience tranquille et l'on dort bien; aussi s'endormirent-ils tous deux du sommeil du juste.

To him alone be the glory!
Cependant, le poète ne dormait pas, lui; les idées se pressaient dans sa tête comme les notes sous l'archet du violoniste, tantôt fraîches et cristallines comme les perles égrenées par les cascades, tantôt impétueuses comme les rafales de la tempête dans la forêt. Il vibrait tout entier sous la main du Maître Suprême. Honneur à lui seul!